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Femmes de Lettres femmes de l'être N°2 Lettres fictives à ceux... Ronsard


liberté

Très cher Poète, cher Pierre de Ronsard,

Je me permets de vous écrire n cet hiver qui s’étale en hyperboles de grisaille sur notre verte Normandie.

Vous le poète des bouquets de roses et des cruelles horloges qui marquent le temps qui passe alors que nous nous lamentons à propos du temps qu’il fait.

J’ai naturellement pensé à vous alors que je rechargeais ma cheminée. Et oui, il y a des rapports de cause à effet bien étranges.

Pourquoi ? « Que sais-je ? » nous dirait Montaigne.

Cher Ronsard, c’est que vous avez si bien chanté les femmes à défaut de les avoir aimées vraiment. L’écriture est un artifice qui palie parfois si bien à l’acte non accompli. Quelques sonnets pour un baiser qui ne fut jamais donné. Quelques vers pour sublimer une étreinte seulement rêvée.

Que n’avez-vous soupiré pour l’inaccessible Cassandre, une jeune fille prétexte à longs soupirs de martyrs précieux. Vous aviez vingt ans et elle n’était qu’une enfant. Mais c’est en croisant la modeste Marie Dupin que vous devenez plus sincère et votre plume prend l’accent du coeur.

Oh cher poète, savez-vous que l’on enseigne encore les sonnets que vous fîtes au nom de cette Hélène de Surgère ? Votre amour d’automne, votre émouvante renaissance qui mêla fougue et patience, érudition et simplicité. A Cassandre vous offrîtes un bouquet de roses tentatrices, une invitation à la cueillette un peu friponne, disons le, de plaisirs libertins au cœur d’un jardin : « cueillez, cueillez votre jeunesse : comme cette fleur, la vieillesse fera ternir votre beauté. »

Ah vilain chantage à la jeune pucelle de treize ans ! Vous n’aviez aucune chance mon cher Ronsard, à cet âge on est encore immortelle et la vieillesse n’a aucun sens.

Mais quand la lectrice prend de l’âge elle aussi, même si cinq siècles vous séparent, elle ressent la piqûre âpre de la rose que vous tendiez autrefois et que l’on reçoit encore aujourd’hui.

Quelle cruauté s’échappe de vos rimes lorsque vous évoquez le « soir à la chandelle » pour cette Hélène idéale. Des vers qui assombrissent son âme de la mélancolie de ses jeunes années où elle relis que « Ronsard me célébrait du temps que j’étais belle », vous êtes un peu présomptueux quand même sur ce coup là. Et vous reprenez votre leitmotiv « cueillez dès aujourd’hui les roses de la vie ». Mais quel cœur est le vôtre Ronsard si vous n’avez de cesse de nous dire qu’un jour nous serons bien vieilles ? … Auprès du feu etc…

1578 pour Hélène, les années 2000 pour nous toutes, des roses, du temps, des plaisirs évanouis, des rides et des souvenirs ? Quelle tristesse cher poète ! Quels plaisirs aurions-nous à nous bleuir le cœur des mauvais coups de l’âge passant ? Aucun, je vous l'affirme.

Sachez toutefois qu’une femme du siècle qui est le mien n’est plus une ruine à 30 ans, ni même à 50 et c’est étonnant de ressentir des émois de donzelle alors qu’on aurait l’âge d’être grand-mère à votre siècle. Vous avez jadis frémi d’émotions amoureuses en peignant les jeunes femmes comme des citadelles imprenables. Sachez qu’elles tremblent, elles aussi, pour un regard, un geste, un mot de lui. Lui qui ? Et bien leur amant, compagnon, époux ou simple passant. Ce qui est le plus ardu, cher Ronsard, ce n’est pas de cueillir les roses mais de garder le bouquet, de renforcer son parfum au fil des jours. Aujourd’hui, l’amour n’est pas un bref sonnet, il doit se réinventer au fil du temps pour perdurer, il a plus la vocation d’un roman voyez-vous. Un sonnet c’est un coup de foudre, fulgurant et bref comme un cri, un sursaut, une surprise. La suite du sonnet s’inscrit dans le temps et s’écrit en chapitres. Nous avons le temps de ne plus mourir en couche à 20 ans.

Mais je dois te laisser cher Poète soupirant car un bon goûter je vais préparer à mon amant. Mon carpe Diem du jour fut cette promenade au soleil sec et froid et ce thé chaud de la montagne bleue, mon préféré.

Oh quelle hardiesse me prend ! Je vous ai tutoyé, veuillez excuser cette légèreté mais cette petite conversation de papier nous a rapproché, non ? Vous êtes mort à 61 ans et vous chantiez l’immortalité, le Carpe Diem, les tombes et les regrets en pleine fleur de l’âge. J’espère plus de joie et encore des vagues de profonds émois pour les années que nous tous et toutes allons encore vivre.

Je vous salue Ronsard, bonne « danse avec les nymphes et les fées dessous la lune en cotte par les prés, être bouc par les pieds et hommes par les mains ». Amusez-vous bien et pardonnez cet emprunt à votre « Hymne de l'automne».

Votre lectrice du 21ème siècle


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